VULNÉRABILITÉ ET LANGAGE : LANGUES, LOCUTEURS, DISCOURS
Colloque des Jeunes Chercheurs de PRAXILING (UMR 5267)
17 et 18 octobre 2024 - Université Paul-Valéry, Montpellier 3
Appel à communications
La 13e édition du Colloque Jeunes Chercheurs (CJC 2024) de Praxiling se tiendra à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Ce colloque pluridisciplinaire est destiné à tous les doctorants, doctorantes, jeunes docteurs et docteures dont les travaux portent sur la notion de vulnérabilité en linguistique.
Argumentaire
Il y a deux ans, le colloque organisé par les jeunes chercheurs et chercheuses du laboratoire Praxiling UMR 5267 portait sur la norme et les diverses formes d’atypies dans le discours. La manifestation organisée en 2024 s’inscrit dans la continuité de ces réflexions, avec le thème de la vulnérabilité. Dans le langage courant, le terme vulnérabilité fait référence à la fragilité, au fait de pouvoir être touché par un événement extérieur, caractéristiques que nous avons parfois pu retrouver chez les populations étudiées lors de la dernière édition du CJC en 2022.
Étymologiquement, le mot vulnérable trouve son origine dans le latin vulnerabilis du verbe vulnerare qui signifie « blesser ». Ses deux principales définitions sont « qui peut être blessé, frappé par un mal physique » et « qui peut être facilement atteint, se défend mal » (Le Petit Robert de la langue française, 2023). A première vue, la vulnérabilité caractérise uniquement les personnes, mais la popularité du terme et son usage dans de nombreuses disciplines s’explique notamment par le « flou » (Blondel, 2015) des définitions possibles.
La notion viendrait de la géographie dans le cadre de l’étude de la réduction des risques des catastrophes naturelles, notamment au cours du XXème siècle (Veyret et Reghezza, 2006). Elle désigne alors un degré d’exposition des personnes aux aléas de la nature. Depuis, la vulnérabilité est également investie dans le champ d’autres sciences humaines et sociales, à commencer par les domaines de la bioéthique et de la philosophie. La notion est reprise à la fin des années quatre-vingt dans les recherches sur l’éthique du care (Brugère, 2021). La vulnérabilité est ici envisagée dans le cadre d’une relation d’assistance et de soin. D’autres disciplines s’emparent de la notion, telles que la sociologie, les sciences du langage ou le droit. Aujourd’hui il convient d’envisager la vulnérabilité comme une dynamique, qui s'avère parfois source de force, de sens, de fierté ou d’identification à une communauté.
En ce qui concerne les sciences du langage, de nombreuses recherches actuelles portent sur les personnes vulnérables, d’un point de vue médical ou vis-à-vis d’un contexte particulier. Praxiling s’inscrit dans cette dynamique depuis plusieurs années, notamment dans le cadre de ses axes de recherches « Parole, interactions, santé » et « Discours, langue ».
Nous proposons de nous emparer de ce sujet tout en ouvrant les possibilités de réflexions. En quoi la dimension de la vulnérabilité reste une notion opératoire pour les chercheuses et les chercheurs en sciences du langage, ce malgré son caractère parfois flou ? Pour y répondre, nous invitons l’ensemble des disciplines du champ à participer : l’analyse de discours, l’analyse interactionnelle, l’énonciation, la pragmatique, la syntaxe, la phonétique/phonologie, la neurolinguistique, la sémantique, la lexicologie ainsi que la morphologie.
Trois axes guideront nos réflexions : l’étude de la vulnérabilité de la langue, celle de la vulnérabilité des locuteurs, ainsi que la vulnérabilité en discours.
Axe 1 : Vulnérabilité de la langue
En sociolinguistique, le concept de vulnérabilité fait référence aux pratiques linguistiques en situation d’instabilité et de fragilité dans un contexte social donné. Cette situation de vulnérabilité est liée aux « enjeux de domination, de pouvoir, d’inégalité et d’injustice » dans le rapport entre langues et sociétés (Blanchet, 2020). Les langues en position de fragilité sont donc appréhendées dépendamment de leur contexte social et de leurs locuteurs.
Dans cet axe, deux situations mettant la langue dans une zone de risque d’exclusion seront abordées. La première concerne les langues et variétés dites minoritaires dans des territoires où les pratiques linguistiques sont plurielles. Plusieurs notions liées à la minoration d’une langue pourront être envisagées telles que la diglossie, la glottophobie, les représentations linguistiques, la politique linguistique… Qualifiée de réversible par Soulet (2005/2), la vulnérabilité mènera également à traiter d'autres aspects plus concrets qui permettent d’agir face à l’instabilité d’une langue. Des travaux visant à préserver ou à revitaliser une langue d’un point de vue linguistique, pédagogique et politique seront donc explorés.
La deuxième situation de vulnérabilité qui attire notre attention dans cet axe concerne les enjeux d’inégalité liés à la notion d’insécurité linguistique. Cette notion « est en grande partie attribuée à la surveillance et à la correction de la langue par ceux et celles qui possèdent la langue dominante » (Desabrais, 2010 : 59). Des locuteurs avec un usage qualifié de « non conforme » au modèle dominant feront donc l’objet d’études afin de porter un regard critique sur toutes formes de systèmes qui concernent le parler d’un ou plusieurs individus.
Axe 2 : Vulnérabilité des locuteurs
L'inutilisation d'une langue la fragilise. De la même façon, un usage original de celle-ci, ou perturbé par un trouble, peut placer le locuteur dans une situation d'inconfort (physique et/ou social) voire de mutisme. Nous évoquons ici la vulnérabilité des locuteurs, consécutive à un tableau clinique atypique.
Dans cet axe, pourront être traités tous les travaux abordant la position d'insécurité linguistique des individus ainsi que les potentielles causes cliniques : pathologies, troubles du langage, handicap, troubles neuro-développementaux, etc. L’étude du langage altéré permettra de montrer en quoi les difficultés de communication peuvent être source de vulnérabilité face à la société, une situation donnée, ou au sein d’un groupe spécifique. A la façon de Jenni et Ritter (2019), nous souhaitons étudier les facteurs impliqués dans la vulnérabilité du locuteur, la comparaison de différents cas permettra un éclairage nouveau à ce propos.
Il s’agit, dans cet axe, d’analyser finement la position du locuteur à travers la notion de la vulnérabilité. Nous devrons ainsi l’envisager comme conséquence, mais aussi comme un « facteur […] qui participe à construire des situations complexes » (Barreyre et al., 2023). Effectivement un être n’est jamais tout à fait vulnérable : « Toujours vulnérable (et appelant donc attention et sollicitude), mais jamais totalement démuni (et exigeant donc rappel à la responsabilité et à la reprise en main de soi), tel est le visage de l’individu du continuum anthropologique contemporain. » (Genard, 2009). Il s’agit d’états qu’il conviendra d’envisager comme tels.
Axe 3 : Vulnérabilité en discours
L’analyse du discours, par sa première vocation à l’analyse des « genres institués » (Maingueneau 2021), ne s’est autorisée que récemment à s’intéresser au point de vue des locuteurs vulnérables et à leurs « environnements existentiels » qui ne sont plus systématiquement « réduits à l’état de traces dans les discours » (Ghliss et al., 2019). Ainsi, la mise en scène de la vulnérabilité peut se faire au sein de corpus habituellement étudiés par l’analyse du discours : presse écrite, discours politiques ou institutionnels (Lancelot, 2021). Elle a été plus récemment mise en valeur dans le cadre de discours portés par des personnes vulnérables elles-mêmes ainsi que par leurs proches (Garric et Thuault, 2020), ou dans le cadre d’interactions spontanées (Verdier, 2022).
Le discours des personnes vulnérables sur leurs propres conditions peut ainsi permettre de mettre en avant leurs difficultés et les obstacles mettant en lumière leurs fragilités (Bureau et Clément, 2024). Ces particularités peuvent aussi être un moteur d’affirmation identitaire et une force (Synnes et al., 2020).
Les contributions de cet axe pourront donc s’intéresser à la façon dont les sujets vulnérables font état de leur vulnérabilité en discours. Les chercheurs pourront aussi se pencher sur les représentations de celle-ci par autrui. Enfin, il sera possible de faire état des effets de ces discours sur les sujets. Les stratégies discursives des locuteurs peuvent être étudiées à l’aide des outils développés par l’analyse du discours et l’analyse interactionnelle : nomination et dénomination, énonciation, argumentation, interdiscours, choix lexicaux et syntaxiques. Il s’agit aussi de se questionner sur l’existence de procédés discursifs propres à l’expression de celle-ci, la « destitution interprétative » (Paveau, 2017) en est un exemple.
Modalités de soumissions
Les propositions doivent être rédigées en français, et chaque résumé doit respecter le format suivant : 1 page (format A4, Times New Roman ou similaire, taille 12, interligne 1,5 cm). Le résumé doit être accompagné de sa bibliographie, inscrite sur une seconde page. Il devra être soumis au plus tard le 30 juin 2024 à minuit, à l’adresse suivante : cjc.praxiling.2024@gmail.com. Tous les résumés seront évalués par au moins deux rapporteurs.
Merci d’ajouter une fiche de présentation au format .doc ou .docx sur laquelle seront précisés :
- Nom et prénom
- Titre scientifique et grade
- Affiliation
- Thématiques de recherche personnelles
- Courriel
- Téléphone
- Adresse postale
Communications orales et posters
Un temps de présentation de 20 minutes sera consacré à chaque communication orale, suivi de 10 minutes de questions et d’échanges avec le public. Une session poster pourra être proposée en fonction des communications soumises.
Publications des contributions
Une sélection des meilleures contributions fera l’objet d’une publication dans les actes du colloque.
Bibliographie
Barreyre Jean-Yves, Gibey Lydie, Fiacre Patricia, 2023, « Analyse du processus de renforcement des vulnérabilités dans les situations complexes d’autisme », Alter, 17-2 (URL : https://journals.openedition.org/alterjdr/1996 [Consulté le 15/02/2024])
Blanchet Philippe, 2020, « Introduction. Vulnérabilité linguistique, inégalités, discriminations : Réflexions à partir des terrains et des analyses présentés dans ce volume. », Circula : revue d’idéologies linguistiques, 12, p. 8‑17. (URL : https://www.erudit.org/fr/revues/circula/2020-n12-circula06165/1079008ar/ [Consulté le 05/04/2024)
Blanchet, Vivien, 2022, « Enquêter auprès des personnes vulnérables : Réflexions autour des notions d’attachement et de détachement. », Revue de l’organisation responsable, 17(1), p. 43‑53 (URL : https://www.cairn.info/revue-de-l-organisation-responsable-2022-1-page-4... [Consulté le 05/02/2024)
Blondel Marion, 2015, La personne vulnérable en droit international, Thèse de Droit de l’Université de Bordeaux (URL : https://theses.hal.science/tel-01424139 [Consulté : 05/04/2024]
Brugère Fabienne, 2021, « Chapitre II. Prendre soin contre l’individu libéral », L’éthique du « care », Vol. 4e éd, p. 46‑80, Paris, Presses Universitaires de France (URL : https://www.cairn.info/l-ethique-du-care--9782715405882-p-46.htm [Consulté le 05/03/2024])
Bureau Raven, Clément Céline, 2024, « Survival classes for a neurotypical world” : What French autistic adults want and need after receiving an autism diagnosis. », Autism, 28(4), p. 843‑853 (URL : https://doi.org/10.1177/13623613231183071 [Consulté le 05/04/2024])
Desabrais Tina, 2010, « L’influence de l’insécurité linguistique sur le parcours doctoral d’une jeune femme acadienne : Une expérience teintée de la double minorisation. », Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, 16(2), p. 57‑89 (URL : https://www.erudit.org/fr/revues/ref/2010-v16-n2-ref1493790/1000314ar/ [Consulté le 05/04/2024])
Ennuyer Bernard, 2017, « La vulnérabilité en question ? », Ethics, Medicine and Public Health, 3(3), p. 365‑373 (URL : https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S2352552517300804 [Consulté le 10/01/2024])
Garric Nathalie, Thuault Elena, 2020, « Rôle du discours épistolaire dans l’expérience postréanimation du patient et du proche. », Langage et société, 169(1), p. 57‑79 (URL : https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2020-1-page-57.htm [Consulté le 30/01/2024]
Genard Jean-Louis, 2009, « Une réflexion sur l’anthropologie de la fragilité, de la vulnérabilité et de la souffrance. », Destins politiques de la souffrance, Toulouse, Éres, p. 27-45 (URL : https://www.cairn.info/destins-politiques-de-la-souffrance--978274921136... [Consulté le 04/04/2024])
Ghliss Yosra, Paveau Marie-Anne, Ruchon Catherine, 2019, « Dynamiques discursives de la vulnérabilité. Introduction. », Signes, Discours et Sociétés, 20 (URL : https://hal.science/hal-02336537 [Consulté le 30/01/2024])
Jenni, O., & Ritter, S. (2019). Vulnérable et fort malgré tout : Facteurs de risque et protecteurs du développement de l’enfant.
Lancelot Matthieu, 2021. Autisme et neurodiversité : Du texte institutionnel à la médiation linguistique, Thèse de linguistique de l’Université Paris Cité.
Le Petit Robert de la langue française [En ligne], 2023 (URL : https://petitrobert-lerobert-com.ezpupv.scdi-montpellier.fr/robert.asp [Consulté le 20/03/2024])
Maingueneau Dominique, 2021, « Chapitre 9. Des genres de discours très divers. », Analyser les textes de communication, Vol. 4e éd, p. 77‑84, Paris, Armand Colin.
Paveau, Marie-Anne, 2017, « Le discours des vulnérables. Proposition théorique et politique. », Cadernos de Linguagem e Sociedade, 18(1), p. 135-157 (URL : https://periodicos.unb.br/index.php/les/article/view/1571 [Consulté le 26/02/2024])
Soulet, Marc-Henry, 2005, « La vulnérabilité comme catégorie de l’action publique. », Pensée plurielle, 10(2), p. 49‑59. (URL : https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2005-2-page-49.htm [Consulté le 05/04/2024])
Synnes Oddgeir, Orøy Aud Jorun, Råheim Målfrid, Bachmann, Liv, Ekra Else Mari Ruberg, Gjengedal Eva, Høie Magnhild, Jørgensen Else, Michaelsen Ragnhild Karen Astad, Sundal Hildegunn, Vatne Solfrid, Lykkeslet Else, 2020, « Finding ways to carry on : Stories of vulnerability in chronic illness. », International Journal of Qualitative Studies on Health and Well-being, 15(1) (URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7534264/ [Consulté le 05/04/2024])
Verdier Maud, 2019, « Discours d’experts : Les modes d’intervention des sciences du langage dans le monde social. », Travaux neuchâtelois de linguistique, 70, p. 5-21 (URL : https://www.revue-tranel.ch/article/view/2891 [Consulté le 06/02/2024])
Verdier Maud, 2022, « Artistes en situation de handicap : Une approche conversationnelle de l’identité personnelle. », Langage et société, 175(1), p. 141‑163 (URL : https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2022-1-page-141.htm [Consulté le 05/02/2024])
Veyret Yvette, Reghezza Magali, 2006, « Vulnérabilité et risques L’approche récente de la vulnérabilité. » Les Annales des Mines, 43 (URL : https://annales.org/re/2006/re43/Veyret.pdf [Consulté le 05/03/2024])
Dernière mise à jour : 12/06/2024